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L’importance du déjeuner: un mythe?

L’idée du déjeuner comme le repas le plus important de la journée est ancrée depuis si longtemps. Est-ce qu’on s’est fait mener en bateau?

Déjeuner, n.m. Qui rompt le jeûne. Dé-jeûner.

Un conseil dans une boîte de céréales

Le premier à avoir popularisé l’importance du déjeuner est un médecin américain du nom de John Harvey Kellogg. Oui oui, Kellogg, comme les céréales.

Dr Kellogg était très actif pour promouvoir des saines habitudes de vie. Il a écrit des dizaines de livres, dirigé un magazine sur la santé de 1874 jusqu’à sa mort en 1943, et dirigé un sanatorium où des patients allaient séjourner pour bien manger, faire de l’exercice et s’abstenir de boire et de fumer. Il recommandait notamment le déjeuner et offrait des granolas maison à ses clients. 

Voulant répondre à la demande de ses clients, Dr Kellogg a commencé à commercialiser ses céréales. C’est sûrement parti d’une bonne intention, mais l’affaire a grossi et est devenue très lucrative. Dr Kellogg et son jeune frère qui travaillait avec lui ont inventé les Corn Flakes et par le fait même le procédé pour fabriquer des céréales en flocons. Ils ont même revendiqué l’invention du beurre d’arachide.

Pour faire une histoire courte, les deux frères se sont disputés et poursuivis pendant des années, mais chacun de leur côté, se sont enrichis avec le petit déjeuner. Difficile de ne pas voir un conflit d’intérêt derrière les conseils du bon docteur.

Déjeuner = mieux manger

« On dit » que les gens qui déjeunent ont une meilleure alimentation.

Les faits: Ça dépend de ce qu’ils mangent. La qualité du déjeuner est souvent annonciatrice de la qualité des autres repas de la journée.

Si on profite du déjeuner pour manger des fruits et des céréales ou du pain de grains entiers, c’est souvent signe que le dîner et le souper seront également nourrissants. À l’inverse, si on a l’habitude de manger des viennoiseries, des céréales bonbons ou du fast food pour déjeuner, la tendance a des chances de se maintenir au cours de la journée. 

Embonpoint et obésité

« On dit » que déjeuner aide à contrôler son poids.

Les faits: Certaines études disent que le déjeuner aide à contrôler son poids et d’autres disent qu’il fait grossir.

Une récente revue de littérature sur le sujet (janvier-février 2020) conclut que le déjeuner aide à maintenir son poids et que sauter le déjeuner augmente les risques de grossir. Les explications probables sont que sauter le déjeuner pourrait:

  • Nous donner plus faim et plus envie de manger. Le corps sécrète plus d’hormones qui stimulent la faim et l’appétit.
  • Nous affamer! Arriver à midi l’estomac dans les talons peut nous pousser à manger vite et beaucoup, plus que si la faim est modérée. 
  • Nous pousser à compenser, bref à manger plus au cours de la journée que si on avait déjeuné.

La plupart du temps, quand les études associent le déjeuner au surplus de poids, ce sont les déjeuners de mauvaise qualité qui sont en cause plutôt que le déjeuner en soi.

Fonctions cognitives

« On dit » que jeûner stimule le cerveau.

Les faits: Si on pense juste à manger, on ne sera pas concentré et donc peu efficace du cerveau!

Cela dit, le cerveau va continuer à fonctionner. On a souvent entendu dire ou lu que le cerveau se nourrit exclusivement de glucose (un sucre) et qu’à cause de ça, il faut en manger régulièrement. Ce n’est pas tout à fait vrai. Le sucre est la source d’énergie privilégiée du cerveau, sa « nourriture » préférée. Mais l’Homme n’aurait pas survécu si son cerveau était à ce point un « picky eater »! Il va finir par accepter une autre nourriture si le sucre vient à manquer. C’est là que le corps lui prépare des cétones à partir de ses réserves de gras. Le cerveau ne meurt pas de faim. Ouf!

Certaines personnes vivent très bien avec le fait de ne pas manger le matin. Leur cerveau s’adapte (mieux que le mien!). Il semble qu’il puisse non seulement s’adapter, mais même s’améliorer. C’est ce que plusieurs études sur le jeûne et le jeûne intermittent tendent à démontrer (parce que ne pas déjeuner, c’est un peu jeûner).

Privé de nourriture, le corps produit de la ghreline, une hormone qui stimule la faim. Cette hormone stimulerait aussi la production de nouvelles cellules dans le cerveau, ce qui contribuerait notamment à la mémoire et à l’orientation dans l’espace. Le jeûne stimulerait aussi la production de mitochondries, qui sont en quelque sorte les centrales énergétiques des cellules (les cours de bio du secondaire sont loin!). Les cellules deviendraient donc plus efficaces. Il semble aussi qu’en période de jeûne, le corps doit faire une sorte de sélection naturelle parmi ses cellules; il garde en priorité celles qui sont saines et laisse mourir celles qui flemmardent. 

Tout ça pour dire que si on vit bien sans déjeuner, notre cerveau va être correct avec ça.

Les enfants à l’école

« On dit » que les enfants qui déjeunent réussissent mieux à l’école. 

Les faits: Normal, si leur ventre crie, ils n’entendent pas leur prof parler! Cela dit, on a sur-évalué les bienfaits du déjeuner…

Plusieurs études ont conclu que le déjeuner permet aux enfants de se concentrer et participer activement en classe. Ils ont besoin de nourriture plus souvent que les adultes et en ce sens, il semble que leur cerveau réagisse un peu moins bien lors d’un jeûne. Cela dit, il y a d’autres détails importants pour la réussite des enfants à l’école: la qualité du sommeil et l’encadrement des parents. 

Dans une plus grande proportion, les enfants qui mangent bien le matin viennent de familles où les parents leur offrent une routine de vie favorable, incluant une bonne nuit de sommeil et un encadrement pour faire leurs devoirs et leçons. Un enfant qui somnole en matinée? C’est peut-être parce qu’il n’a pas assez dormi, plutôt que pas assez mangé.

D’autre part, des programmes qui offrent le déjeuner à l’école incitent les enfants de milieux défavorisés à fréquenter l’école plus régulièrement, ce qui les aiderait à avoir de meilleures notes. Ces programmes permettraient également aux enfants qui n’ont pas faim au saut du lit de manger un peu plus tard, quand ils commencent à avoir faim.

Oui, il est important de favoriser un déjeuner nourrissant. L’idéal est toutefois de laisser à l’enfant le temps de ressentir la faim, parce que c’est une manière de lui apprendre à écouter les signaux de son corps. Il peut par exemple déjeuner après s’être habillé, coiffé et avoir fait son lit. C’est un petit 15 ou 20 minutes qui pourrait faire toute la différence. Et s’il ne veut presque rien manger, on se rassure en se disant que la collation viendra bientôt. Les enfants passent généralement peu de temps sans manger au service de garde ou à l’école.

En résumé, ce que les études et le gros bons sens nous disent sur le déjeuner:

  • Mange si tu as faim.
  • Si tu as faim, mange un déjeuner nourrissant.
  • Si tu n’as pas faim en te levant, attends d’avoir faim.
  • Apporte de quoi manger quand la faim se réveillera plutôt qu’être captif de machines distributrices ou des viennoiseries du café le plus proche.
  • Ne te force pas à rester à jeûn le matin.

Quelques références

  • Xiumei Maabc et coll. Skipping breakfast is associated with overweight and obesity: A systematic review and meta-analysis. Obesity Research & Clinical Practice, Volume 14, Issue 1, January–February 2020, Pages 1-8
  • Chen H. et coll. Association between skipping breakfast and risk of cardiovascular disease and all cause mortality: A meta-analysis. Clinical Nutrition 2020 Feb 17
  • Valeria Edefonti et coll. Breakfast and behavior in morning tasks: Facts or fads? Journal of Affective Disorders, Volume 224, 15 December 2017, Pages 16-26
  • C. Matthys et coll. Breakfast habits affect overall nutrient profiles in adolescents. Public health nutrition, April 2007 Volume 10, Issue 4, pp. 413-421
  • Ortega RM et coll. Difference in the breakfast habits of overweight/obese and normal weight schoolchildren. International Journal for Vitamin and Nutrition research, 31 Dec 1997, 68(2):125-132
  • Gail C. Rampersaud et coll. Breakfast Habits, Nutritional Status, Body Weight, and Academic Performance in Children and Adolescents. Journal of the American Dietetic Association Volume 105, Issue 5, May 2005, Pages 743-760
  • Yao J. et coll. Effect of Eating Breakfast on Cognitive Development of Elementary and Middle School Students: An Empirical Study Using Large-Scale Provincial Survey Data. Medical Science Monitor, 2019 Nov 22;25:8843-8853
  • Mark P. et coll. Intermittent metabolic switching, neuroplasticity and brain health. Nature Reviews Neuroscience 2018 Feb; 19(2): 63–80
  • Rafael de Cabo, and Mark P. Mattson. Effects of Intermittent Fasting on Health, Aging, and Disease. New England Journal of medicine, 2019; 381:2541-2551
  • La Presse, Émilie Bilodeau, On craque pour le beurre d’arachide, 22 mai 2014
  • UT Health Science Center Library, Dr. John Harvey Kellogg – Inventor of Kellogg’s Corn Flakes

Crédit photo: © Creative Commons Zero

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